Etat perpétuellement neutre, la Suisse a de tout temps prêté ses bons offices aux belligérants en vue d'une entente, d'un compromis, d'une aide. Née de considérations pratiques, la neutralité se mettait ainsi au service d'un idéal. On discerna d'une manière particulièrement nette durant les années 1939 à 1945 qu'il y a une parenté étroite entre l'idéal suisse et l'idéal humanitaire et que l'esprit spécifiquement suisse n'exclut pas mais, au contraire, favorise et même impose le sens de l'humain. La petitesse du pays avait besoin d'un complément : la dimension supranationale. Aussi pouvait-on affirmer qu'il n'était pas suisse d'être uniquement Suisse. L'occasion se présenta de transformer en un élément vivant et créateur la neutralité traditionnelle, jadis nécessitée par les circonstances, de rehausser le sens de cette neutralité. La neutralité d'aujourd'hui n'est plus un refus, une barrière dressée face à l'étranger, elle est un oui, une volonté d'aider. La Croix-Rouge, cette institution qui est née sur le sol et inspirée par l'esprit de la Suisse neutre, et qui, sous sa forme traditionnelle, est étroitement solidaire de la neutralité perpétuelle du pays, peut être considérée comme un des plus beaux fruits de la neutralité conçue dans ce sens élevé. L'œuvre que le Comité international de la Croix-Rouge a accomplie durant toutes les années de guerre en s'occupant des prisonniers, en recherchant des disparus, en transmettant le courrier et en remettant des colis est bien dans l'esprit charitable qui anime la Suisse. Les « bons offices » comprenaient toute une série d'initiatives prises par l'Etat suisse, des autorités et des particuliers suisses pour atténuer les souffrances causées par la guerre et pour préparer la compréhension réciproque au sein de la communauté des peuples encore déchirée par le conflit. Les plus importants des « bons offices » de la Suisse ont certainement consisté dans la représentation des intérêts de ressortissants étrangers. La doctrine du droit des gens ne donne que peu d'informations sur le rôle de la puissance protectrice, institution qui date de moins d'un siècle. Il est d'autant plus instructif de passer en revue ce qui s'est accompli à ce titre durant les années de guerre. Lorsque deux pays rompent les relations diplomatiques entre eux et surtout lorsque des hostilités éclatent, on a presque toujours ressenti le besoin de ne pas couper entièrement le contact pour que les ressortissants d'un des pays restent protégés dans l'autre. Même en temps de guerre, chaque Etat est tenu, dans son comportement envers les ressortissants d'un pays ennemi vivant sur son territoire, de se conformer aux principes du droit des gens. Comme le pays d'origine ne peut pas faire valoir les droits de ses ressortissants ni s'opposer à des abus, il faut qu'il puisse charger un Etat tiers, un neutre, de le faire à sa place. Il a besoin d'un intermédiaire reconnu, pour ses protestations, notifications, démarches et recherches. La puissance protectrice n'agit donc pas spontanément, mais devient en quelque sorte la représentante de l'Etat qui l'a mandatée. Un pays peut refuser d'assumer le mandat, mais, sauf raisons majeures, il obéira à des considérations humanitaires en l'acceptant, même si, ce faisant, il devait porter atteinte à ses relations avec des Etats tiers dans la guerre totale, en effet, le mandataire de l'Etat ennemi ne peut être que trop aisément confondu avec celui-ci. Du fait que leur pays s'était chargé des intérêts allemands et japonais, des fonctionnaires suisses ont ainsi été l'objet d'une certaine prévention. Pour s'assurer autant que possible la confiance des deux parties, la Suisse a toujours subordonné l'acceptation d'un mandat à l'assentiment de la partie adverse, autrement dit de l'Etat où les intérêts de l'Etat représenté devaient être défendus. L'étranger a témoigné plus de confiance à la Suisse, pays perpétuellement neutre, qu'aux Etats occasionnellement neutres, qui, obéissant à l'opportunité, se décidaient tantôt pour la neutralité tantôt pour la guerre. Cette confiance reposait sur la stabilité des principes de politique extérieure appliqués par la Suisse, sur la présomption qu'elle conserverait sa neutralité jusqu'à la fin des hostilités et pourrait ainsi jouer sans restrictions son rôle de mandataire. Peut-être cette confiance générale provenait-elle aussi de ce qu'aucun Etat n'avait autant que la Suisse développé la technique de la représentation des intérêts étrangers en cas de guerre. En outre, le pays devait à sa situation centrale et à sa communauté de langue et de culture avec divers peuples le fait d'occuper le premier rang parmi les Etats neutres. La Confédération fut également durant la guerre de 1939-1945 une puissance protectrice particulièrement recherchée dans le monde entier. Au début, le nombre des mandats assumés était encore faible, mais i1 augmenta rapidement après la campagne allemande à l'Ouest, l'entrée en guerre de l'Italie et la poussée de l'Axe dans les Balkans. Lors de l'entrée en guerre des Etats-Unis et l'ouverture des hostilités à l'Est, la courbe avait atteint son maximum, avec trente-cinq représentations dans un nombre égal d'Etats. Fait probablement unique, il arriva parfois que deux Etats qui se faisaient la guerre confiassent à la Suisse la représentation de leurs intérêts. C'est ainsi que la Confédération se trouva chargée simultanément des intérêts britanniques et allemands, des intérêts allemands et américains. Cela lui permettait d'exercer avec une vigueur particulière son action médiatrice. Pour mener à chef cette tâche que Pilet qualifiait de belle et délicate, la Suisse avait besoin d'un appareil administratif plus grand et plus spécialisé qu'autrefois. Immédiatement après l'ouverture des hostilités, au début de septembre 1939, le Conseil fédéral adjoignit au Département politique un service spécial, la « division des intérêts étrangers », qui devait s'occuper de toutes les affaires concernant la puissance protectrice. La centrale de Berne, quartier général par excellence de la puissance protectrice exerçant son activité dans le monde entier, finit par exécuter 219 mandats. C'est à cette centrale que les puissances représentées devaient faire part de leurs vœux et de leurs réclamations, par le truchement de leurs représentants diplomatiques dans la ville fédérale. Berne transmettait ensuite les notifications, avec les instructions nécessaires, à la représentation suisse compétente, laquelle entreprenait ensuite des démarches auprès du Ministère des affaires étrangères, parfois aussi - dans le cas de prisonniers de guerre - auprès des organes militaires. Désirant coordonner toutes les œuvres de secours nécessitées par la prolongation et l'extension de la guerre, le chef du Département politique créa, au début de 1939, le poste de « délégué aux œuvres d'entraide internationale » .
Pour s'acquitter de sa tâche, la division des intérêts étrangers avait besoin d'organes d'exécution, tant pour les relations avec les ressortissants étrangers à protéger que pour celles avec l'Etat adverse. La besogne fut confiée aux légations de Suisse, qui durent souvent engager du personnel auxiliaire. Le chef de poste était responsable. Mais lorsque l'activité devait être particulièrement grande et s'étendait encore à l'aide aux prisonniers de guerre, on créa des divisions indépendantes. Ce fut le cas à Londres au début de septembre 1939, à Berlin après l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, à Rome au début de I942, à Vichy, à Washington ainsi qu'à Bucarest pour les Balkans.
La règle était que la Suisse n'agît pas dans un cas concret sans avoir reçu un mandat précis. Il n'y avait une exception que si les circonstances commandaient de faire immédiatement quelque chose et qu'on pût supposer que l'intervention répondait aux intentions de l'Etat représenté : violations manifestes du droit des gens en matière d'exterritorialité ou de traitement des prisonniers de guerre. Le mandat conférait en effet une certaine liberté d'action. Les mandants étaient en général des gouvernements et très rarement des particuliers. Pour établir un contact plus étroit entre le mandant et l'office central à Berne, il y avait de temps en temps des rencontres avec des délégués de l'Etat intéressé. Chaque printemps, des délégués du Ministère allemand des affaires étrangères et de la Wehrmacht se rendirent régulièrement à Berne pour traiter des cas difficiles. Une délégation du Foreign Office et du War Office se présenta en 1944.
En acceptant ces mandats, la Suisse se réservait un certain droit d'examen. Elle refusait par exemple de transmettre des notes rédigées sur un ton offensant ou menaçant, mais elle faisait une exception à cette règle lorsque des intérêts importants étaient en jeu. Ainsi, pour empêcher que des prisonniers de guerre britanniques ne fussent emmenés d'Italie en Allemagne, elle communiqua à l'Italie, à la fin de juin 1943, une note menaçante de Churchill. De même, elle transmit à la Hongrie une note de Roosevelt réclamant d'une façon comminatoire l'arrêt des déportations de juifs. Berne modifiait parfois, pour des raisons politiques, la forme des communications du Ministère allemand des affaires étrangères. L'Etat qui désirait que la Suisse se chargeât de ses intérêts adressait une demande au Département politique. Lorsqu'une rupture des relations diplomatiques était simplement prévisible, un Etat cherchait parfois à savoir si la Suisse serait disposée à prendre en main ses intérêts. Lorsque les choses pressaient, lorsque des diplomates se trouvaient brusquement contraints de partir, les légations de Suisse pouvaient être amenées à se charger immédiatement de la protection. La mesure restait provisoire jusqu'à ce que l'Etat d'origine eût confirmé le mandat, ce qui n'arrivait pas toujours. Pour assumer un mandat, il fallait que certaines conditions fussent remplies. La Suisse refusait autant que possible de se charger d'une représentation dans les régions où elle n'entretenait pas de poste diplomatique ni consulaire. Pour faciliter la coordination du travail, le Département politique envoyait des directives aux légations.
Géographiquement, la représentation des intérêts s'étendait à l'ensemble du territoire soumis à la souveraineté de l'Etat en cause. Différentes puissances protectrices pouvaient exercer simultanément leur activité sur ce territoire. Ainsi, la Suisse représentait les intérêts allemands dans l'ensemble de l'empire britannique, mais l'Espagne assurait la défense de ces intérêts dans certains dominions et territoires coloniaux parce que la Suisse n'y disposait pas du personnel nécessaire. Selon la conception suisse, les territoires occupés appartenaient aussi au champ d'activité de la puissance protectrice. C'est là que l'aide était souvent la plus urgente. Restaient en dehors de ce champ les régions proches du théâtre des combats, les zones d'opérations. Le japon déclara zones d'opérations tous les territoires qu'il occupait depuis le début de la guerre. Cela eut malheureusement pour effet que, dans ces contrées, les ressortissants de pays ennemis se trouvèrent privés de la protection suisse. La Suisse, avec raison, combattit constamment cette manière de voir qui créait des conditions insupportables. Il pouvait aussi arriver que la Suisse dût assumer des fonctions sur le territoire d'un Etat souverain qui ne l'avait pas reconnue comme puissance protectrice. Tel fut notamment le cas en France pour les Allemands capturés par les Américains et les Anglais.
La Suisse se vit plusieurs fois amenée à se charger aussi de représentations de facto. Il en fut ainsi dans le cas de gouvernements en exil que l'Etat mandant voulait ignorer alors qu'une protection demeurait quand même nécessaire. II y eut également des représentations de facto lorsque les puissances victorieuses n'étaient pas en mesure d'envoyer à bref délai des missions diplomatiques normales dans des territoires que l'ennemi avait évacués. L'aide de la puissance protectrice était souvent fort nécessaire dans ces cas-là. Les difficultés rencontrées par la puissance protectrice exigeaient alors des efforts et une prudence diplomatique particulièrement poussés. La Suisse a accompli ce travail supplémentaire pour des raisons purement humanitaires.
La première tâche de la puissance protectrice consistait à assurer par voie d'échange le rapatriement du personnel diplomatique et consulaire resté dans le pays. Ce retour ne pouvait souvent être obtenu qu'après un internement de plusieurs mois, durant lequel la puissance protectrice devait s'occuper des personnes retenues. Pour le rapatriement, on utilisait parfois des bateaux spécialement affrétés et pour lesquels il fallait obtenir un sauf-conduit des belligérants. Les groupes importants étaient accompagnés de délégués de la puissance protectrice. Déjà peu de mois après le début de la guerre, la Suisse obtint que le personnel consulaire allemand en fonctions dans l'empire britannique fût échangé contre du personnel britannique retenu en Allemagne. A Tunis, elle réussit à faire rapatrier le personnel consulaire italien. Il y eut ensuite l'échange des consuls allemands résidant dans les Indes néerlandaises contre des consuls néerlandais en Allemagne. Après l'entrée en guerre du japon et des Etats-Unis, des représentants de l'Allemagne et des pays associés vivant aux Etats-Unis furent échangés, au printemps 1942, contre des représentants des Etats-Unis en Europe. L'échange portait des deux côtés sur 900 personnes. D'autres échanges encore, notamment entre l'Amérique et le Japon, eurent lieu en été 1942. Il s'agissait d'environ 6 600 personnes, y compris un certain nombre de particuliers. Les représentants diplomatiques et consulaires étaient en principe échangés par catégories et non pas individuellement, jusqu'au jour où l'Allemagne suscita ici aussi des difficultés. De ce fait, des fonctionnaires britanniques demeurèrent internés dans une Allemagne qui souffrait de la faim et des bombardements aériens et durent être libérés par les armées alliées. Après la rupture des relations entre Vichy et Washington, du personnel américain fut emmené en Allemagne tandis que du personnel allemand était conduit aux Etats-Unis. Ces gens-là durent attendre à l'étranger l'issue des négociations d'échange qui ne donnèrent un résultat définitif qu'en 1944. Le dernier échange important eut lieu au printemps 1945 entre l'Allemagne et la Turquie. Il fut aussi parfois possible d'organiser l'échange de personnes qui n'étaient pas au bénéfice de privilèges diplomatiques. Le plus considérable de ces échanges eut lieu à Lisbonne en 1942 entre les puissances de l'Axe et des Etats de l'hémisphère occidental. Il concernait 2000 personnes. Une autre opération importante se déroula sur territoire suisse en 1945 ; elle portait sur 850 personnes, parmi lesquelles des juifs libérés de camps de concentration.
Parmi les tâches de la puissance protectrice, il y avait aussi la protection des ressortissants étrangers, d'autant plus nécessaire que la guerre totale restreignait sensiblement la liberté de mouvement des étrangers. Même dans les pays non belligérants, on avait fait de mauvaises expériences avec ce qui s'appelait la cinquième colonne. Dans les cas suspects, il arrivait que la résidence forcée ou l'internement fussent ordonnés. Les droits de l'étranger, en temps de guerre aussi, étaient subordonnés aux nécessités de la sécurité du pays de résidence. Il appartenait à la puissance protectrice de décider dans quelle mesure elle accorderait sa protection. La Suisse avait pour principe d'agir autant en faveur des étrangers que de ses nationaux. Le succès de ses interventions souffrit souvent du fait qu'il n'y avait pas d'accord au sujet de ce que permettait ou ne permettait pas le droit des gens.
La protection juridique s'étendait aux affaires de passeports. Seul celui qui possédait une pièce établissant de manière irréfutable sa nationalité pouvait, dans ses rapports avec la puissance protectrice et avec l'Etat de résidence, se prévaloir de son droit à la protection. L'établissement de papiers d'identité permit à beaucoup de civils de rentrer dans leur pays et a aussi sauvé de la déportation un grand nombre de juifs. Les légalisations faisaient également partie des attributions de la puissance protectrice. Par la légalisation, la Suisse conféra une valeur juridique à des milliers de documents employés en pays ennemi, mettant ainsi de nombreux étrangers en mesure d'exercer leurs droits; la légalisation jouait un rôle particulier en matière d'état civil. Certains représentants de la Suisse à l'étranger furent habilités, conformément à la loi, à établir des actes d'état civil. La mesure profita notamment à de nombreux Anglais, l'enregistrement de la naissance étant essentiel pour la conservation de la nationalité. Les consulats de Suisse furent aussi autorisés à accepter en dépôt des documents de leurs protégés, ce qui fut particulièrement bénéfique pour les juifs en France.
L'assistance civile constitua un très vaste domaine, où la nécessité des secours était particulièrement évidente. De nombreux étrangers perdirent en pays ennemi leurs possibilités de gain. Des familles étaient réduites à une noire misère par suite de la déportation ou de l'internement de leur chef et soutien. Conformément au droit des gens, il est vrai, la puissance détentrice devait pourvoir à leurs besoins; 1'aide reçue n'en était pas moins fort insuffisante dans bien des cas. Certains Etats, surtout la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, secouraient en revanche très généreusement leurs ressortissants, par le truchement de la puissance protectrice. Les efforts inlassables de la légation de Suisse à Tokyo permirent enfin, en 1944, d'obtenir des japonais l'autorisation de verser des secours à des personnes retenues dans les Indes néerlandaises et aux Philippines. La somme globale des secours distribués par l'entremise de la Suisse en sa qualité de puissance protectrice s'éleva à 247 millions de francs.
Pendant la guerre, les belligérants procédaient à l'internement de ressortissants du pays ennemi, souvent de familles entières, et pas seulement des hommes aptes au service militaire. Grâce aux efforts du Comité international de la Croix-Rouge et en partie par l'entremise de la Suisse agissant comme puissance protectrice, il fut possible d'obtenir des principaux belligérants que la convention du 27 juillet 1929 relative au traitement des prisonniers de guerre fût appliquée aussi aux internés civils. Cela permit aux représentants de la puissance protectrice de visiter de nombreux camps d'internés dans toutes les régions du monde, de faire des rapports détaillés au pays d'origine, de recueillir des réclamations et de veiller au bien-être matériel et moral des internés. Pendant la seule année 1944, treize camps furent visités en Allemagne et dans les régions occupées par elle. D'une façon générale, les belligérants étaient heureux de savoir que la Suisse, en sa qualité de puissance protectrice, s'occupait des internés. Des inspecteurs de camps, envoyés par la Confédération, visitèrent les prisonniers de guerre et les internés civils de presque tous les Etats signataires de la convention de Genève de 1929.
Le rapatriement des internés qui désiraient rentrer chez eux répondait souvent à l'intérêt de la puissance détentrice comme à celui de l'Etat d'origine. Grâce à l'entremise de 1a Suisse, il y eut en 1942 un échange entre les pays de l'hémisphère occidental d'une part, l'Allemagne et les puissances qui lui étaient associées, d'autre part. Il engloba plus de 2 000 personnes. Un second échange, au début de 1945, porta sur un nombre presque aussi grand. Celui qui se fit entre l'Allemagne et la Palestine permit de faire passer dans cette région, entre 1942 et 1943, quelque 500 juifs. Mais le nombre le plus élevé de rapatriés fut atteint lors de l'évacuation de la colonie italienne en Abyssinie et en Erythrée : 28 000 femmes, enfants et hommes âgés ou malades rentrèrent en Italie au cours d'une année et demie. En 1943, il y eut quelque 1 500 civils échangés entre l'Amérique et le Japon. Le nombre des ressortissants britanniques et allemands que leurs pays respectifs échangèrent en 1944 s'éleva, de part et d'autre, à 900. L'année suivante, l'Allemagne et la Turquie échangèrent encore 600 civils.
Des règles du droit des gens assuraient la protection de la propriété de gouvernements étrangers, mais non point celle de la propriété privée. Il y avait souvent divergence entre les conceptions anglo-saxonne et continentale. Ainsi l'Amérique bloqua et séquestra sur une grande échelle les avoirs des ressortissants ennemis. La Suisse intervint avec succès dans divers cas de mesures particulièrement rigoureuses. Elle établit également de nombreuses lettres de protection, qui furent apposées sur les immeubles. Ces lettres mentionnaient que le propriétaire bénéficiait de la protection suisse.
L'activité exercée par la puissance protectrice conformément à la convention de Genève concernait principalement le traitement des prisonniers de guerre. La convention internationale de 1929 mentionnait expressément l'institution de la puissance protectrice. Cet acte, établi à l'époque tranquille de la paix, s'est révélé efficace en temps de guerre. Pour tous les belligérants, il était fort rassurant de savoir que la Suisse aussi bien que le Comité international de la Croix-Rouge contrôlaient l'application des dispositions. L'Union soviétique n'était pas partie à la convention. Les soldats de l'armée rouge ne bénéficiaient pas de cette protection en cas de capture et furent traités en conséquence par le IIIè Reich. En dépit d'une surveillance constante exercée par la puissance protectrice, la convention internationale fut parfois violée d'une manière qui fit sensation. A 1a suite d'une tentative d'évasion, 47 officiers britanniques furent, sur ordre supérieur, exécutés dans le camp de Sagan en 1944. Au cours de la même année, les menottes furent mises à des prisonniers canadiens à titre de représailles pour le coup de main de Dieppe. C'étaient là de très graves violations de la convention internationale; la Suisse s'efforça par tous les moyens d'empêcher qu'elles ne se répètent. Le Japon, qui n'avait pas ratifié la convention, opposa une vive résistance aux efforts de la légation de Suisse à Tokyo, à telle enseigne qu'elle dut le plus souvent se borner à faire des démarches écrites en faveur des prisonniers de guerre et à transmettre les 240 protestations du State Department américain.
La visite des camps de prisonniers constituait l'activité la plus importante de la puissance protectrice. Il fut impossible aux inspecteurs de visiter certains camps de transit, où les prisonniers séjournèrent parfois longtemps. Il y avait là une violation de la convention. En règle générale, les inspecteurs visitaient tous les trois mois les logements des prisonniers de guerre et leurs lieux de travail; ils notaient les défauts, recueillaient les réclamations et intervenaient comme médiateurs entre les chefs des camps et leurs occupants. Les représentants de la puissance protectrice jouissaient d'un privilège que n'avaient pas les délégués de la Croix-Rouge : celui de s'entretenir sans témoin avec les prisonniers de guerre. Des inspecteurs suisses visitèrent en Allemagne, au cours de l'année 1944, 150 camps, lazarets et prisons militaires, de même que 1900 détachements de travail relevant des camps de base; ils rédigèrent 350 rapports concernant ces visites. Au début de mars 1945, des fonctionnaires suisses retrouvèrent et sauvèrent au dernier moment quelques Anglais de marque emmenés comme otages. Au Japon, il fallut plus de cent interventions pour obtenir l'autorisation de visiter un tiers des camps de prisonniers. Mises à part les constatations faites en Extrême-Orient et partiellement aussi en Allemagne, les réclamations à élever en raison de faits graves furent peu nombreuses.
Tandis que les camps de prisonniers de guerre en Allemagne pouvaient être inspectés régulièrement, les diplomates suisses et les fonctionnaires de la puissance protectrice ne réussirent jamais à obtenir l'accès aux camps de concentration. Selon la conception allemande, ces camps, qui existaient déjà avant la guerre, relevaient uniquement de la politique intérieure. Juridiquement, la Suisse ne pouvait protéger que les ressortissants des Etats dont elle défendait les intérêts; il n'était pas non plus possible de faire quoi que ce fût pour des Allemands en Allemagne, ni pour les étudiants norvégiens déportés dans ce pays, ces étudiants dont la Suisse se préoccupait tout particulièrement depuis les manifestations par lesquelles des professeurs et des étudiants suisses s'étaient déclarés solidaires de leurs collègues et camarades norvégiens à fin 1943. Toutes les démarches entreprises par le Département politique auprès du ministre d'Allemagne à Berne et du Ministère des affaires étrangères à Berlin demeurèrent vaines. La Suisse devait se borner à appuyer autant que possible les efforts du Comité international de la Croix-Rouge. Même cette institution internationale se vit refuser en août 1944 l'autorisation de visiter les 300 étudiants d'Oslo enfermés dans le camp de concentration de Buchenwald. Les fonctionnaires suisses n'étaient habilités à intervenir que là où existait la preuve que la victime appartenait à un pays dont la Suisse défendait les intérêts. Mais la Gestapo ne disait pas si les étrangers dont ils cherchaient la trace se trouvaient dans des camps de concentration. Aux raisons juridiques de la Suisse, le gouvernement du Reich opposait l'argument de la sécurité de l'Etat. Il n'a jamais reconnu qu'il y avait aussi dans les camps des personnes qui eussent été en droit de réclamer la protection de la Suisse et il a toujours interdit les visites. Pendant la guerre, cinquante-huit Suisses sont décédés dans les établissements pénitentiaires et les camps de concentration allemands. Dans deux cas, il y a eu suicide; dans sept autres, la mort a été causée par des bombardements.
Les transferts de fonds se faisaient par les soins de la puissance protectrice, qui établissait les listes de destinataires et recueillait les quittances. Le Comité international de la Croix-Rouge achetait des denrées alimentaires dans des pays où elles étaient abondantes, les faisait transporter par des navires affrétés ou achetés à crédit et les distribuait à quelque deux millions de prisonniers de guerre retenus en Allemagne. Le volume de ces denrées fut d'environ 2 000 tonnes. De sérieuses divergences de vues se produisirent souvent au sujet du travail des prisonniers, en particulier dans la question du travail prohibé. Le haut commandement de la Wehrmacht considérait comme licites même les travaux pénibles exécutés dans les mines de charbon et de sel, ainsi que la suppression du jour de repos prescrit par la convention. Cela ne l'empêchait pas de s'opposer à l'emploi de prisonniers allemands pour la récolte du coton, taxée de travail de nègres. L'intervention de la puissance protectrice permit dans une large mesure de mettre fin aux malentendus et manifestations de mauvaise volonté. La puissance protectrice voua aussi ses soins à l'accélération du trafic postal - si important - entre les prisonniers de guerre et leur pays d'origine. Un service aérien spécial fut même établi, vers la fin de la guerre, entre les Etats-Unis et Genève. La Suisse servit aussi de « lieu de transit pour des milliers de lettres ». A la demande de certains gouvernements, elle entreprit aussi des enquêtes. La transmission des listes officielles des prisonniers de guerre, même décédés, malades ou blessés, jouait un grand rôle. Ces listes étaient destinées aussi bien à 1a puissance protectrice qu'au Comité international de la Croix-Rouge, pour son usage. La convention conférait également à la puissance protectrice certaines attributions dans le domaine des sanctions pénales. Elle avait le droit d'être représentée à l'audience. Elle désignait souvent le défenseur. Si la peine de mort était prononcée - ce qui arrivait parfois en Allemagne même pour des infractions légères -, la Suisse, en tant que puissance protectrice, s'efforçait de faire différer l'exécution et de mettre en train un échange spécial de condamnés. Son souci constant était d'empêcher tout acte irréparable.
La Suisse eut l'occasion d'exercer une activité particulièrement féconde dans le domaine du rapatriement des grands blessés et des grands malades. Des commissions médicales mixtes, composées de deux membres neutres et d'un médecin de la puissance détentrice, étaient chargées de désigner les prisonniers à rapatrier. Les membres neutres étaient le plus souvent des médecins suisses. En 1941, la Suisse envoya un train sanitaire en Allemagne pour ramener à Dieppe les grands blessés britanniques à rapatrier; conformément à un accord, ils devaient y être échangés contre des prisonniers allemands venant d'Angleterre. Par suite de divergences de vues, l'entreprise échoua; aussi l'échange ne put-il commencer qu'en automne 1943 : 11 000 blessés et membres du service de santé furent rapatriés. Le président de la commission médicale mixte put écrire : « Le fait qu'il nous ait été donné de participer tout modestement à une œuvre de paix et d'humanité au milieu des horreurs de la guerre nous comble de fierté et de satisfaction. » Pour surmonter les difficultés de transport que rencontraient les belligérants, le Conseil fédéral mit le territoire suisse et des trains sanitaires à leur disposition. Au début de 1945, 7 000 grands blessés et 1 000 membres du service de santé furent transportés entre Marseille et Constance dans des trains sanitaires suisses. Bien que la convention de Genève de 1929 pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne ne mentionne nulle part la puissance protectrice, la Suisse est intervenue plusieurs fois en cas de violation de cette convention. Il s'agissait de la protection du personnel sanitaire et des ecclésiastiques, qui devaient être rapatriés « dès qu'une voie serait ouverte pour leur retour et que les exigences militaires le permettraient ». Le fait que la puissance protectrice et le Comité international de la Croix-Rouge travaillèrent la main dans la main, bien que leurs attributions ne fussent pas exactement délimitées, a accru le succès des efforts.
La Suisse, dans son rôle de puissance protectrice, s'occupa aussi des juifs vivant en Allemagne et dans les territoires occupés par elle. Certes, les Alliés dont la Suisse représentait les intérêts n'étaient pas habilités juridiquement à agir en faveur de ressortissants allemands. Ils vinrent néanmoins en aide à ces gens persécutés en établissant de nombreux visas pour l'entrée en Palestine et en chargeant la Suisse de les remettre aux gouvernements du pays de résidence des intéressés. Ainsi 400 juifs allemands, polonais et balkaniques purent être échangés contre des Allemands de Palestine. Le gouvernement des Etats-Unis intervint, en 1944, lorsque les autorités du Reich récusèrent la protection suisse pour les juifs qui, dans les camps français de concentration, possédaient des papiers d'identité délivrés par des Etats représentés par la Suisse et s'étaient procuré des passeports sud-américains. L'Allemagne consent à renoncer à la déportation de personnes paraissant pouvoir être échangées contre des Allemands se trouvant en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Amérique du Sud. Lorsque le groupement extrémiste hongrois des croix fléchées eut envisagé avec les Allemands, en 1944 de déporter systématiquement les juifs, la Grande-Bretagne établit pour ces gens menacés des certificats assurant leur émigration en Palestine, tandis que le San Salvador, appuyé par les Etats-Unis, émettait des attestations de nationalité. Après bien des peines, la légation de Suisse réussit à amener les autorités hongroises à reconnaître ces pièces. Le consul Carl Lutz, chef du service des intérêts étrangers à la légation de Suisse à Budapest, délivra en masse des lettres de protection. Au prix de sacrifices et de dangers personnels, il entreprit, de sa propre initiative, une vaste opération de sauvetage au cours de laquelle 50 000 à 60 000 juifs hongrois échappèrent à l'anéantissement dans les camps de la mort installés par les nationaux-socialistes. En août et septembre 1944, 1 870 juifs hongrois arrivèrent en Suisse; la rançon à payer pour eux s'élevait à 1000 dollars par personne, avec complément en denrées alimentaires, marchandises et bijoux.
L'activité de la division des intérêts étrangers diminua à mesure que les Allemands se retiraient des territoires occupés. Après l'armistice, il fut constaté, au sein du Conseil fédéral, que la représentation d'intérêts étrangers avait pris fin aussi bien en Allemagne que dans les pays alliés. Le 8 mai, le jour de la capitulation à Reims, le Département politique déposa son mandat concernant l'Allemagne. Il est possible que les critiques élevées dans la presse américaine au sujet de la représentation des intérêts allemands par la Suisse aient contribué à faire prendre rapidement une telle décision. La Suisse, en tant qu'Etat souverain, avait en tout cas le droit de la prendre. Il reste cependant à savoir si, ce faisant, elle n'a pas violé la convention de Genève de 1929. L'article 96 dit, il est vrai, que chaque partie contractante peut dénoncer la convention, mais il ajoute que « la présente convention continuera à produire ses effets au-delà du délai d'un an, jusqu'à ce que les opérations de rapatriement soient terminées ». Et l'on est encore plus fondé à se demander si la Suisse n'a pas contrevenu à ses principes humanitaires en se libérant si rapidement de ses obligations de mandataire, car des milliers de prisonniers de guerre allemands cessèrent ainsi de bénéficier de la protection assurée par la convention. La simple présence symbolique de la Suisse comme puissance protectrice aurait peut-être contribué à adoucir leur sort. Et l'on vit ainsi se répéter, pour tant d'hommes sans protection, ces souffrances dont la première guerre mondiale avait laissé le souvenir. A vrai dire, le service des intérêts étrangers de la légation de Suisse à Berlin poursuivit la liquidation de certaines affaires, mais son existence prit fin avec le retour du personnel, le 20 novembre. Au cours du mois suivant, la Suisse notifia à tous les Etats dont elle représentait encore les intérêts sa décision de cesser toute activité au titre de puissance protectrice le 31 mars 1946 au plus tard.
Pendant la guerre, la division des intérêts étrangers occupait 153 fonctionnaires à Berne et 1108 diplomates et employés à l'étranger. Il s'agissait de représenter 35 pays dans ceux avec lesquels ils étaient en guerre. Ces pays, parmi lesquels se trouvaient les plus puissants du monde, avaient confié au petit Etat neutre la protection de leurs ressortissants en territoire ennemi et élevé ainsi la Suisse au rang d'une puissance mondiale sur le plan diplomatique. Durant toutes ces années, la Suisse, puissance protectrice, s'efforça d'accomplir sa haute et difficile mission : ses fonctionnaires agissaient en médiateurs impartiaux, se rendaient, parfois en risquant leur vie, derrière les fronts, visitaient les victimes de la guerre, les prisonniers, les blessés, les persécutés, les déportés. Au total, il y a eu certainement 35 000 civils échangés, des dizaines de milliers de grands blessés rapatriés, d'innombrables victimes de la guerre secourues. Il est compréhensible que la Suisse, à cause de ses moyens d'action limités, n'ait pas toujours réussi, en dépit de tous ses efforts, à soulager la misère.
Pour la défense d'intérêts étrangers, elle n'avait pas la base solide de conventions internationales et pouvait à peine se fonder sur les usages internationaux. Dans les Etats à régime dictatorial, les principes du droit des gens n'étaient souvent que fariboles. Le plus souvent, la Suisse n'avait pas d'autres armes que son sens politique et son habileté diplomatique. Il lui eût été facile de se cabrer face à l'Etat étranger, mais il était plus difficile de négocier posément et patiemment, avec l'obligation d'aller souvent jusqu'à la limite du possible et d'accepter une collaboration pénible pour atteindre le but. Le prestige moral que la neutralité permanente donnait à la Suisse devait suppléer aux moyens d'action.
Dans les rapports avec le Comité international de la Croix-Rouge, dont les tâches touchèrent plusieurs fois celles de la puissance protectrice, on veilla rigoureusement à sauvegarder la liberté de chacun. Il importait de ne compromettre en aucune façon l'indépendance de l'institution internationale. Mais l'accomplissement parallèle de certaines missions ne pouvait être que bénéfique; tel fut le cas pour la visite des camps de prisonniers de guerre et d'internés, par exemple. La collaboration était facilitée par le fait que la Croix-Rouge avait son siège en Suisse et que, suivant une tradition presque séculaire, la direction et le personnel étaient suisses. Dans les questions relatives à la conduite de la guerre et au traitement des prisonniers, l'Allemagne préférait le truchement du Comité international de la Croix-Rouge à celui de la puissance protectrice pour traiter avec la partie adverse. Son gouvernement obéissait probablement à des considérations de prestige en donnant la préférence à la voie non politique. La Suisse, elle, ne se préoccupait que du but à atteindre. Aussi saluait-elle tout ce qui était tenté pour empêcher que la guerre ne respecte de moins en moins les principes reconnus du droit des gens et les dispositions de la convention de Genève. « Les lauriers dont se couvre le Comité international de la Croix-Rouge ornent aussi la tête de notre Helvétie. » Par suite de l'extension de la guerre, les tâches du Comité international s'accrurent démesurément. Suivant un aperçu rétrospectif rédigé à titre interne par le Département politique, il y avait d'innombrables démarches à faire, des décisions hardies à prendre et un travail écrasant à accomplir.
Durant la période de guerre considérée dans son ensemble, le Comité international s'occupa de sept millions de prisonniers et de 175 000 internés civils. La seule Agence centrale des prisonniers de guerre comprenait 3700 collaborateurs. Elle répondit à 600 000 demandes de recherches et transmit 23 millions de messages pour des civils coupés de toutes communications dans le pays ennemi où ils étaient retenus. Les prisonniers de guerre reçurent par l'entremise du Comité international 33 millions de colis contenant des vivres et des objets d'usage quotidien. De plus, 75 000 colis d'un poids total de 2600 tonnes furent envoyés entre le 13 novembre 1943 et le 8 mai 1945 à des déportés dans des camps de concentration. Le Comité affréta des navires pour ses transports. D'autres envois de secours, en grand nombre, furent transportés sur des navires suisses de ravitaillement ou des trains suisses de marchandises. Le total des dépenses du CICR atteignit 33 millions de francs pour la période du Ier septembre 1939 au 30 septembre 1945. Plus de la moitié de cette somme, soit 18 millions et demi, était de provenance suisse.
La Croix-Rouge suisse, que le Conseil fédéral, au début de 1942, avait reconnue comme unique société de Croix-Rouge sur le territoire de la Confédération, consacra depuis 1942 presque toute son activité à l'aide aux réfugiés dans le pays et à l'étranger. Elle donna à 81 000 enfants - dont plus de 60 000 vivant en France - la possibilité de faire un séjour de trois mois en Suisse pour fortifier leur santé. Elle leur fournit de nouveaux vêtements et leur assura les soins médicaux. La Croix-Rouge - aide aux enfants - organisa en outre des distributions de vivres, de vêtements et de médicaments dans de nombreux pays. Une délégation de cette institution séjourna plus de trois ans en Grèce et y prit part à la grande œuvre de secours d'une commission administrative Suède-Suisse
Plus de 10 000 enfants furent hébergés dans des homes spécialement aménagés à cet effet. Près de cinq millions de repas furent servis dans des villes françaises aux enfants en âge de scolarité. Il fut difficile de faire venir des enfants d'Allemagne parce que, selon les dires du secrétaire d'Etat Steengracht, le Reich estimait devoir s'occuper lui-même des enfants allemands. Cela amena le ministre de Suisse à faire remarquer que la puissance protectrice n'avait pas la moindre intention de faire de l'aide aux enfants un moyen de propagande; son seul dessein était d'aider et de guérir, ce qu'elle tenait pour une obligation découlant de son beneficium neutralitati. Pour la seule aide aux enfants, la Croix-Rouge suisse dépensa plus de 55 millions de francs.
Au cours de l'avant-dernière année de guerre, on créa l'œuvre du « Don suisse aux victimes de la guerre ». C'était une institution indépendante de l'Etat, à laquelle contribuaient tous les milieux de la population. La Suisse épargnée par la guerre voulait, de cette façon, faire un grand effort pour aider les peuples qui avaient souffert du conflit. Les conseils législatifs accordèrent une contribution de 100 millions de francs. Une collecte nationale organisée au printemps de l'année suivante rapporta encore 45 millions. La somme totale correspondait ainsi à 2 pour-cent du revenu national. Le « Don suisse » put commencer son activité encore avant l'armistice. Il envoya de grandes quantités de denrées alimentaires dans la Hollande occupée par les troupes allemandes. Pour le reste, les ressources furent réservées principalement aux pays voisins de la Suisse. Taxé au début d'organisation politique destinée à secourir l'Allemagne, le « Don suisse » prouva bientôt qu'il obéissait uniquement à des raisons humanitaires. Sa préoccupation majeure était de sauver des vies et des santés, mais il entendait travailler aussi à une restauration matérielle et morale. Il vouait également un soin particulier aux enfants victimes de la guerre. Les envois qu'il faisait à l'étranger étaient le plus souvent accompagnés par des équipes de médecins, d'infirmiers et d'assistants sociaux. Le « Don suisse » exerça aussi son activité secourable dans le pays, principalement en faveur de l'enfance menacée de tuberculose. Il collaborait autant que possible avec l'UNRRA, c'est-à-dire l'United Nations Relief and Rehabilitation Administration. A côté du « Don suisse », toute une série d'organisations humanitaires se consacraient aux victimes de la guerre. Les comités de secours s'occupaient surtout de la population victime de la guerre dans les régions frontières.
L'activité de la Suisse comme puissance protectrice n'épuise pas la signification européenne de sa neutralité. La politique de neutralité - émanation du statut de neutralité - offre beaucoup plus de possibilités d'action qu'on ne le croit généralement dans le pays et à l'étranger: le règlement pacifique des différends, l'accueil de conférences qui facilitent les contacts entre Etats, l'acceptation de mandats internationaux et de fonctions fiduciaires, l'exécution de mesures humanitaires. Mais la défense des intérêts étrangers assumée dans l'exercice du mandat de puissance protectrice reste un élément capital dans la liste des bons offices.
Si l'étranger, à titre officiel ou privé, a manifesté sa reconnaissance à la Suisse pour son activité de puissance protectrice, il lui a aussi adressé des critiques. Au début de mai 1945, des journaux américains lui reprochèrent d'avoir omis de renseigner les Etats-Unis sur le régime de famine auquel étaient soumis systématiquement les prisonniers de guerre américains en Allemagne et sur les conditions de vie épouvantables qui régnaient dans les camps de concentration. La division des intérêts étrangers répondit à ces reproches par une déclaration officielle dont le State Department adopta les constatations. Les fonctionnaires et les inspecteurs de camps envoyés par la Suisse ont souvent accompli leur travail désintéressé et courageux en risquant leur vie et non sans dommages. Ils étaient accueillis en maint endroit avec méfiance; on les tenait pour des mandataires camouflés de l'ennemi, faute de comprendre que les fonctionnaires neutres de la puissance protectrice voulaient traiter tous les belligérants sur pied d'égalité. Naturellement, bien des choses auraient pu se faire mieux, tant il est vrai que toute œuvre humaine demeure imparfaite, surtout si elle doit être improvisée et exécutée par des gens certes pleins de bonne volonté, mais sans expérience. On peut dire cependant que la Suisse a su, d'une façon générale, s'acquitter avec beaucoup de sérieux de sa mission humanitaire traditionnelle, en conservant, comme pays neutre, des liens étroits avec les belligérants du monde entier. Il est permis de penser que l'activité exercée à titre de puissance protectrice a été un des plus beaux fleurons de la neutralité perpétuelle.
Un sens nouveau était donné au vieil adage : la neutralité suisse répond à l'intérêt de l'Europe. Et ce sens était le suivant : les belligérants avaient besoin du petit pays neutre, resté à l'écart de la guerre, pour l'accomplissement de tâches humanitaires et les relations entre Etats. Sa neutralité était devenue une nécessité sur le plan international.