C’est encore dans la confusion la plus grande, noyé dans un flot de sous-officiers de carrière d’A.F.N. que je rallie cette caserne. Il n’y a plus trace de chars ; seul subsiste à l’entrée, protégé par une grande vitre, un F.T. de la guerre 14/18 vu en coupe, ayant servi à l’instruction.
Il fait une chaleur torride. Je dois aller chercher un à un et sur le dos, des isolateurs dans un bâtiment annexe, puis les amener dans les chambrées qui en sont démunies. J’entrevois qu’un bourrage de paillasses va suivre. N’en avons nous pas l’habitude ?..
J’ai bien fait une dizaine de navettes, quand subitement je m’affaisse, vaincu par la fatigue, la chaleur et la faim. Je ne reprends connaissance qu’à l’infirmerie où l’on m’a transporté. J’ai la cuisse gauche en feu. L’infirmier m’a paraît-il fait une piqûre d’alcool camphrée pour me réanimer. Comme je suis le seul à recevoir des soins, deux jours après, l’infirmier est relevé et je dois alors regagner la caserne où n’est plus question que de patrouilles aux alentours des vignobles, les officiers n’ayant d’autres soucis que d’organiser ces manœuvres pour "tuer le temps".
Je me souviens qu’au cours de celles-ci, avoir vu de superbes grappes de raisin qui, bien que très tentantes, n’étaient pas assez mûres pour étancher ma soif et surtout la faim. Il faisait un temps splendide, le soleil baignait de sa lumière tout ce qui m’entourait, mais tout m’était indifférent, sans intérêt ; l’ennui me rongeait car j’étais sans nouvelles des miens. Où étaient ma femme, mon enfant ?..
Les jours s’égrenaient dans cette torpeur et je me sentais terriblement seul.