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Vichy : lois et mesures antisémites

 

Vichy avant Vichy

 

Présentation en gestation

 

Décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers


RAPPORT

AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Paris, le 2 mai 1938.

Monsieur le Président,

Le nombre sans cesse croissant d'étrangers résidant en France impose au Gouvernement, investi du pouvoir législatif dans un domaine nettement défini, d'édicter certaines mesures que commande impérieusement le souci de la sécurité nationale, de l'économie générale du pays et de la protection de l'ordre public.
Il convient d'indiquer, dès l'abord - et pour marquer le caractère du texte qui est soumis à votre haute approbation - que le présent projet de décret-Ioi ne modifie en rien les conditions régulières d'accès sur notre sol, qu'il ne porte aucune atteinte aux règles traditionnelles de l'hospitalité française, à l'esprit de libéralisme et d'humanité qui est l'un des plus nobles aspects de notre génie national.
La France reste toujours aussi largement ouverte à qui vient, chez elle, recueillir les enseignements de ses richesses intellectuelles et morales, visiter ses sites incomparables, apporter fraternellement sa contribution au travail de la nation. Elle reste toujours aussi largement ouverte à la pensée, à l'idéal persécutés, qui lui demandent asile, à la condition toutefois qu'il ne soit pas fait du titre respectable de réfugié politique un usage illégitime qui serait un abus de confiance, et qu'une conduite exempte de tout reproche, une attitude absolument correcte vis-à-vis de la République et de ses institutions, soient l'inflexible règle pour tous ceux qui bénéficient de l'accueil français.
Cet esprit de générosité envers celui que nous nommerons l'étranger de bonne foi trouve sa contre-partie légitime dans une volonté formelle de frapper désormais de peines sévères tout étranger qui se serait montré indigne de notre hospitalité.
Et tout d'abord, la France ne veut plus chez elle d'étrangers "clandestins", d'hôtes irréguliers: ceux-ci devront, dans le délai d'un mois fixé par le présent texte, s'être mis en règle avec la loi ou, s'ils le préfèrent, avoir quitté notre sol. C'est ainsi que, dans une pensée d'ordre et de sécurité qui domine les dispositions ci-dessous, nous avons cru devoir faire disparaître ce que nous appellerons le "non-délit impossible". Il peut, en effet, se produire - le cas est plus fréquent qu'on ne le croit généralement - qu'un étranger frappé par un arrêté d'expulsion se trouve hors d'état d'obtenir le visa étranger qui lui permettrait de quitter notre pays et d'aller ailleurs; contre sa volonté, il se trouve en état de délit permanent, ce qui constitue évidemment une situation inadmissible. Il y a là un état de fait qu'il faut aborder en face et qu'il faut régler; c'est pourquoi un article spécial dispose que, dans un tel cas, le ministre de l'intérieur pourra assigner à l'intéressé une résidence déterminée qui rendra sa surveillance possible. Si l'étranger indésirable ne se soumet pas, il sera frappé des mêmes peines que l'expulsé rentré irrégulièrement en France, peines que le texte rend justement sévères.
Pour déceler et identifier les étrangers clandestins et ceux qui ne sont pas en règle, il nous a paru indispensable d'étendre à tout logeur, professionnel ou bénévole, l'obliga­tion de déclarer, dans des formes d'ailleurs extrêmement simples et commodes à fixer par voie réglementaire, qu'il héberge un étranger. Rien de vexatoire dans une telle obligation, simple mesure d'ordre dont on aperçoit toute la portée pratique comme toute l'efficacité.
Ajoutons encore que le nouveau texte, en son article 4, permet d'atteindre, par des sanctions rigoureuses, toutes les officines louches, tous les individus qui, gravitant autour des étrangers indésirables, font un trafic honteux de fausses pièces, de faux passeports, sont les complices d'actes irréguliers souvent très graves, dans leurs conséquences, pour la sécurité publique; en outre, par l'article 12, se trouve sanctionné, d'une manière sévère, l'usage par un étranger d'une fausse identité, d'un faux état civil.
A côté de ces dispositions, dont la rigueur, nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, ne peut atteindre ou inquiéter que celui qui n'est pas digne de l'hospitalité française, l'article 10 apporte une innovation considérable par sa portée morale: si cette sécurité nationale, si l'ordre public ne sont pas directement en jeu, tout étranger n'ayant subi aucune condamnation de droit commun et se trouvant en situation régulière, mais dont l'éloignement de notre sol aura paru désirable, sera avisé à l'avance de la mesure qui peut être prise contre lui et pourra, s'il en exprime le désir, être personnellement entendu, dans ses explications, par un délégué, spécialement choisi, du préfet. Procès-verbal de son audition sera joint au dossier et soumis au ministre de l'intérieur qui statuera en toute connaissance de cause. Ainsi l'étranger intéressé, si modeste qu'il soit, trouvera, dans cette disposition libérale, une garantie qu'il n'avait pas jusqu'ici et qu'il nous a paru légitime d'accorder dans les limites qui viennent d'être définies.
S'il fallait résumer, dans une formule brève, les caractéristiques du présent projet, nous soulignerions qu'il crée une atmosphère épurée autour de l'étranger de bonne foi, qu'il maintient pleinement notre bienveillance traditionnelle pour qui respecte les lois et l'hospitalité de la République, mais qu'il marque enfin, pour qui se montre indigne de vivre sur notre sol, une juste et nécessaire rigueur.
Nous vous prions d'agréer, monsieur le Président, l'hommage de notre respectueux dévouement.

Le président du conseil,
ministre de la défense nationale et de la guerre
,
Édouard DALADIER.

Le ministre de l'intérieur,
Albert SARRAUT.

Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Paul REYNAUD.

Le ministre des finances,
Paul MARCHANDEAU.

 

Décret-loi

Le Président de la République française,

Sur le rapport du président du conseil, ministre de la défense nationale et de la guerre, et des ministres de l'intérieur, de la justice et des finances,
Vu la loi du 13 avril 1938 autorisant le Gouvernement à prendre par décret toutes dispositions ayant force de loi pour faire face aux dépenses nécessitées par la défense nationale et redresser les finances et l'économie de la nation,
Le conseil des ministres entendu,

Décrète:

Article 1er. - Tout étranger qui séjourne en France plus de deux mois doit être titulaire d'une carte d'identité d'étranger ou de tourisme demandée et délivrée dans les conditions d'âge, de délais et de formes fixées par voie réglementaire.
Le délai de deux mois peut être modifié par décret.
Tout étranger doit, pour rentrer en France, être muni des documents exigés par les conventions internationales en vigueur et tous textes réglementaires.

Art. 2. - L'étranger qui aura pénétré en France irrégulièrement, clandestinement ou non muni de ces documents revêtus des timbres et visas réglementaires, sera passible d'une amende de 100 à 1.000 F et d'un emprisonne­ment de un mois à un an.
Toutefois, avant toute poursuite à engager en vertu du paragraphe précédent, les réfugiés politiques qui auront, à leur entrée en France, au premier poste frontière, revendiqué cette qualité dans les formes et conditions qui seront déterminées, feront l'objet d'une enquête administrative sur le vu de laquelle le ministre de l'intérieur statuera.
Celui auquel la carte d'identité aura été refusée ou retirée et qui, malgré ce refus ou ce retrait, sera trouvé séjournant sur le territoire, ou celui dont la situation n'aura pas fait l'objet d'une régularisation administrative, sera puni d'une amende de 100 à 1.000 F et d'un emprisonnement de un mois à un an.
Cet étranger sera, en outre, à l'expiration de sa peine, expulsé du territoire français par le ministre de l'intérieur.

Art. 3. - L'étranger qui, sans excuse valable, aura omis de solliciter dans les délais réglementaires la délivrance d'une carte d'identité, sera, sans préjudice des amendes fiscales, passible d'une amende de 100 à 1.000 F et d'un emprisonnement de un mois à un an.

Art. 4. - Tout individu qui par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger sera puni des peines prévues à l'article précédent.

Art. 5. - Les étrangers possédant les pièces justifiant qu'ils sont en règle avec la législation les concernant, doivent en être porteurs de manière à pouvoir les présenter à toute réquisition sous peine d'une amende de 5 à 15 F.

Art. 6. - Toute personne logeant ou hébergeant un étranger en quelque qualité que ce soit, même à titre gracieux, ou louant des locaux nus à un étranger, devra, dans les vingt-quatre heures de l'arrivée ou de la location, pour les hôteliers, logeurs et gérants responsables de pensions de famille, et dans les quarante-huit heures au plus, pour les particuliers, en faire la déclaration au commissariat de police du quartier ou de la commune dans laquelle , résidera l'étranger ou à la gendarmerie, ou à défaut à la mairie.
Les infractions à cette obligation seront punies d'une amende de 5 à 15 F, sans préjudice des poursuites qui pourront être intentées en application de l'article 4 du présent décret-Ioi et des mesures d'expulsion qui pourront être prises à l'encontre des logeurs de nationalité étrangère, qu'ils soient professionnels ou particuliers.

Art. 7. - Tout étranger autorisé à séjourner en France changeant de domicile ou de résidence, même dans les limites d'une même commune si celle-ci compte plus de 10.000 habitants, doit faire connaître sa nouvelle adresse en faisant viser sa carte d'identité au départ et à l'arrivée au commissariat de police, ou à défaut à la mairie, sous peine d'une amende de 16 à 1.000 F.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux titulaires de la carte de tourisme et à ceux qui ne font pas en France un séjour dont la durée les astreint à demander la délivrance d'une carte d'identité.

Art. 8. - Le ministre de l'intérieur pourra, par mesure de police en prenant un arrêté d'expulsion, enjoindre à tout étranger domicilié en France ou y voyageant de sortir immédiatement du territoire français et le faire conduire à la frontière.
Dans les départements frontières, le préfet aura le même droit, à charge d'en référer immédiatement au ministre de l'intérieur.

Art. 9. - Tout étranger expulsé qui se sera soustrait à l'exécution des mesures énoncées dans l'article précédent ou dans l'article 272 du code pénal, ou qui, après être sorti de France, y aura pénétré de nouveau, sans autorisation, sera condamné à un emprisonnement de six mois à trois ans. A l'expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière.

Art. 10. - L 'étranger à même de justifier qu'il est entré en France dans des conditions régulières, qu'il n'a encouru; aucune condamnation correctionnelle ou criminelle de droit commun, auquel l'autorisation de séjour aura été accordée par la délivrance d'une carte d'identité de validité normale, ne pourra être expulsé qu'après avoir été entendu personnel­lement par un délégué du préfet s'il en manifeste le désir. Un procès-verbal constatant les explications et justifica­tions de l'intéressé sera dressé et transmis au ministre de l'intérieur.
L'étranger aura huit jours à partir de la notification de la mesure administrative envisagée à son encontre pour exercer le droit qui lui est donné par le présent article.
Cette procédure ne sera pas applicable si la mesure d'éloignement est provoquée par des motifs touchant à l'ordre public ou à la sécurité nationale dont le ministre de l'intérieur ou les préfets des départements frontières restent seuls juges.

Art. 11. - L'étranger pour lequel il sera démontré qu'il se trouve dans l'impossibilité de quitter le territoire français ne sera pas assujetti aux dispositions des articles 8 et 9 du présent décret-Ioi ; toutefois, le ministre de l'intérieur pourra astreindre ledit étranger à résider dans des lieux qu'il fixera et dans lesquels l'intéressé devra se présenter périodique­ment aux services de police ou de gendarmerie.
Les étrangers ainsi visés qui n'auraient pas rejoint, dans le délai prescrit par le ministre de l'intérieur, la résidence assignée, ou qui ultérieurement auraient quitté cette résidence sans autorisation du ministre de l'intérieur, seront passibles d'un emprisonnement de six mois à trois ans.

Art. 12. - La fausse déclaration d'état civil, en vue de dissimuler sa véritable identité, ou l'usage de fausses pièces d'identité entraînera pour l'étranger délinquant la condam­nation au maximum des peines prévues dans les différents articles du présent décret-loi.

Art. 13. - La loi du 26 mars 1891 n'est pas applicable aux peines prévues par le présent décret-loi.
Les dispositions de l'article 463 du code pénal ne sont applicables qu'aux cas visés par l'article 7.

Art. 14. - Sont abrogées toutes dispositions contraires au présent décret qui est applicable à l'Algérie et qui entrera en vigueur dès sa publication au Journal officiel.
Les étrangers actuellement en France devront avant le 31 mai 1938 s'être mis en règle avec les dispositions du présent décret.

Art. 15. - Le président du conseil, ministre de la défense nationale et de la guerre, les ministres de l'intérieur, de la justice sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République française et soumis à la ratification des Chambres, conformément à la loi du 13 avril 1938.

Fait à Paris, le 2 mai 1938.

Albert LEBRUN.

Par le Président de la République :

Le président du conseil,
ministre de la défense nationale et de la guerre

Édouard DALADIER.

Le ministre de l'intérieur,
Albert SARRAUT.

Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Paul REYNAUD.

Le ministre des finances,
Paul MARCHANDEAU.

 





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